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Thèmes redondants pour vendre de la copie
Vous le savez, mes amis, que nos médias d’information veulent faire de l’argent grâce à la publicité et aux textes commandités. Mais, pour ce faire, il faut vendre de la copie en traitant à tout prix de sujets accrocheurs qui reviennent tout le temps, comme l’exode supposé de nos prétendus cerveaux, les nombreux règlements (environnement, santé et sécurité au travail, etc.) qui étouffent nos entrepreneurs, les gros impôts qui briment notre élite, les services publics comparés à des vaches sacrées, etc. et pour mettre plus d’emphase sur ces tares «structurelles», les journalistes prennent bien soin de comparer le Québec avec des provinces et des pays où priment la liberté individuelle et celle du marché et où il y a moins d’État étouffant comme ;es États-Unis et plusieurs provinces canadiennes. Et jamais ces journalistes dit d’enquête font des rapprochements entre le Québec, la France, la Suède, la Norvège, la Finlande, etc., car cela viendrait bousiller leurs préceptes idéologiques.
Et au diable la rigueur et le professionnalisme du vénérable métier de journaliste. La fin justifie les moyens que disait le poète. Ah oui, pour arriver aux fins voulues, on fait le bon choix des «experts» interviewés, on prend nos chiffres de sources patronales tout en les manipulant soigneusement.
L’Ontario : un aimant pour nos travailleurs de la construction
J’ai littéralement sursauté, pour ne pas dire explosé, à la lecture de cet article d’une grosse page et demie publiée le 17 février 2020 dans le Journal de Montréal, sous la plume du journaliste Francis Halin et intitulé : «L’Ontario attirant pour nos travailleurs. Plus payant de travailler en Ontario». Un vrai publi-reportage selon moi. Un lobbyiste n’aurais pas fait mieux.
Les thèmes de l’exode de nos travailleurs spécialisés, des impôts toujours trop élevés au Québec, du trop grand nombre de règlements comme ceux reliés à la santé et la sécurité au travail et à la syndicalisation, de l’exode de nos entrepreneurs en construction, ainsi soit-il, sont grossièrement abordés dans cet article. Afin de démontrer le bien-fondé de ces prétentions, le journaliste a naturellement bien sélectionné les gens interviewés, a choisi avec précaution la source de ses grossiers calculs et la façon de regrouper et de les ventiler. Il a retenu seulement ce qui cadrait avec ses «paradigmes».
Par exemple, le journaliste du Journal de Montréal a interviewé l’«expert» Daniel Dufort de l’Institut économique de Montréal (IEDM), un organisme à droite financé par le patronat, auquel il a accordé beaucoup d’espace. Il a bien choisi ses petits entrepreneurs victimes comme Décor Pink, un couvreur de planchers qui préfère travailler en Ontario plutôt qu’à Gatineau parce qu’il «n’en peut plus des règlementations québécoises qui lui mettent des bâtons dans les roues». Pauvre lui. J’ai de la grosse peine. Le journaliste du Journal de Montréal a aussi donné la parole à Nicolas Brisson, directeur des affaires publiques de l’Association des professionnels de la construction de l’habitation du Québec Outaouais, qui a dit le plus sérieusement du monde que «le risque que des entrepreneurs désertent le Québec est bel et bien réel. On n’a pas d’exode encore, mais on sent que ça pourrait s’en venir ces prochaines années». Franchement pitoyable et pathétique.
Et comme autre contracteur, le journaliste du Journal de Montréal a rencontré Marc Lafrenière, un autre opprimé de Gatineau qui suffoque et qui s’est défoulé en disant au reporteur «d’enquête» : «J’ai mon quota. Ça fait sept ans que j’accepte seulement les contrats en Ontario parce qu’il me reste plus d’argent dans les poches. C’est plus facile en Ontario, alors nous, on va l’autre bord». Je vous le dis, l’exode massif de nos entrepreneurs et de nos travailleurs en construction s’en vient à grand pas. Il ne se construira plus rien au Québec.
Bonne nouvelle toutefois, si nos entrepreneurs en construction s’en vont tous en Ontario et aux States, le Québec et les Québécois vont sauver des milliards de dollars grâce à moins de corruption, d’évasion fiscale et de contrats truqués.
Des travailleurs toujours surtaxés au Québec
La meilleure est pour maintenant. Ne reculant devant rien, ledit journaliste a comparé les impôts et taxes payés par un travailleur de la construction québécois et ontarien. Ses incroyables calculs sont basés sur les données fournies par l’Association patronale de la construction du Québec (ACQ) et Carpentiers union local 93 et on ne sait pas dans quelle proportion.
Tenez-vous bien : au Québec, c’est 53% qui est soustrait du salaire hebdomadaire du travailleur contre seulement 26% en Ontario en termes d’impôts, taxes et déductions de toutes sortes. Ayoye! Un vrai journaliste professionnel aurait fourni au lecteur le détail de ces chiffres : de quoi s’agit-il exactement en termes d’impôts et de taxes? Ben non, aucune ventilation ni explication, le chiffre en fourni en bloc. Vingt-huit pourcent de taxes et d’impôts déduits à la source de la paie du travailleur ontarien alors que juste le taux d’impôt fédéral statutaire est de 20,5% pour les gens qui gagnent annuellement 46 500$. Il n’en reste pas beaucoup pour l’impôt provincial de l’Ontario, les cotisations à l’assurance-emploi, aux régimes des rentres du Canada, à la santé et sécurité au travail, etc. Lorsque l’employeur déduit peu d’impôt à la source, ça ne veut pas dire que l’employé paie moins d’impôts sur le revenu. Ce dernier aura à les payer à la fin de l’année lorsqu’il remplira son formulaire d’impôt.
Une autre raison pourquoi les déductions fiscales sont un plus élevées au Québec par rapport aux travailleurs de la construction de l’Ontario c’est qu’ici, tous les travailleurs, par le biais d’un organisme public, cotisent à un généreux fonds de pension auquel l’employeur, petit et grand, est tenu de contribuer. Ce que n’aiment pas du tout nos entrepreneurs. Tous nos travailleurs de la construction sont couverts. Les cotisations à un fonds de pension, incluant le régime des rentes du Québec, ne constituent pas un impôt mais bel et bien un investissement que le travailleur va récupérer à sa retraite. Tout le monde sait ça, ou devrait le savoir, encore plus si on est journaliste. Il aurait fallu, par souci d’honnêteté intellectuelle, que le journaliste en discute. Mais non, il doit avoir oublié.
En conclusion
Comme l’avait suggéré l’ex-président de la Banque nationale du Canada : «Bérard invite les gens d’affaires à acheter des articles dans les journaux» (Le Soleil, 13 novembre 1997). Dixit Marc Labrèche : «Marc Labrèche se demande si les journalistes ne sont pas devenus les vrais clowns de l’infospectacle» (Le Devoir, 13 février 2014). Et une dernière : «Forte hausse de la présence des relations publiques dans les articles» (Le Devoir, 10 janvier 2019). Et dire que nos journalistes supposément professionnels sont censés être indépendants et être les remparts de la défense de la liberté… du moins en théorie!