Hausser les impôts des pontes, c’est idéologique

L’Évangile fiscale du patronat et de sa cavalerie

J’en ai parlé dans mon dernier texte (que je vous invite à lire ou à relire) : l’armée patronale peut toujours compter sur ses fidèles croisés (journalistes, élus, universitaires, organismes de recherche et autres financés par le monde extraordinaire, éditorialistes, etc.) pour défendre les riches et les compagnies. Elle peut aussi aller jusqu’au chantage afin de combattre l’idée malvenue de les taxer un peu plus afin de rendre la fiscalité plus équitable afin de réduire les odieuses inégalités économiques. Ces dernières ont explosé dans les années 80’s avec les Reagan, Thatcher et Mulroney de ce monde.  

Ces activistes de droite vont toujours nous présenter les nantis comme des créateurs de richesse et des philanthropes dont leur immense richesse va finir par ruisseler sur le monde ordinaire. Les taxer davantage, selon leur modèle commandité, va causer des pertes d’emplois, freiner l’investissement, stopper la recherche et le développement, réduire leur incitation à nous créer de la richesse et, considérant qu’ils sont oppressés fiscalement, ils vont fuir. C’est ce qu’ils appellent l’exode des cerveaux et des richards. Faillite assurée du pays si on ose les angoisser davantage fiscalement et les réprimer avec des règlements qui briment leur liberté d’entreprendre. Par contre, même s’ils plaident pour l’État minimal et la privatisation des services publics, ils exigent toujours plus de subventions gouvernementales. C’est du socialisme à l’envers, par lequel ce sont les gras durs qui sont aidés. Et ils tiennent à leurs paradis fiscaux afin d’accroître leur compétitivité. La belle affaire.

J.R. et Gérard du Devoir à l’assaut des irrévérencieux

Dans son dernier éditorial du 24 novembre 2020, intitulé «Fiscalité. Temps durs pour les riches», Jean-Robert Sansfaçon se défoule encore une fois contre les énervés de Québec solidaire qui osent déranger l’ordre du désordre actuel, entre autres en matière fiscale. Imaginez-vous donc qu’au sortir de la pandémie, ces dangereux socialistes radicaux proposent de hausser l’impôt des riches et des compagnies en préconisant différentes possibilités comme l’ont suggéré récemment le Fonds monétaire international, Bill Gates, Warren Buffet, Joseph Stiglitz et d’autres. Tant pis pour ces rêveurs de QS, Jean-Robert Sansfaçon leur est tombé dessus comme la famine tombe sur le pauvre monde. Très épouvantable de songer à taxer davantage les VIP.

Sans présenter d’autres alternatives fiscales, Sansfaçon est contre l’idée de taxer les riches, un point c’est tout. Imaginez, J.R. mentionne dans son épitre que «quant aux vrais riches (car il a, selon le zélote, de faux riches), il y a bien d’autres moyens (il ne dit pas lesquels) de leur faire payer leur juste part des services publics sans (tenez-vous bien) les inciter à déménager aux Bahamas». Des journalistes qui nous aliènent plutôt que nous conscientiser. Québec solidaire a seulement proposé de réintroduire au Canada, comme il y en a ailleurs, un impôt successoral et un impôt sur la richesse, d’augmenter les impôts sur le revenu des compagnies et de taxer, en fonction du principe du pollueur-payeur, les gros émetteurs de gaz à effet de serre.

Réduire les inégalités par la fiscalité

Si Monsieur Sansfaçon n’est pas favorable à aux mesures fiscales de QS, il aurait pu en suggérer d’autres, appliquées ailleurs, afin que les nantis paient leur juste part d’impôt, comme augmenter l’imposition du gain en capital (je ne parle pas de taxer le capital mais les importants gains réalisés sur les immenses capitaux détenus par les «vrais» riches); imposer la rémunération des dirigeants d’entreprises qui se font payer en actions au même taux que le salaire de leurs employés; abolir le droit à l’incorporation des médecins payés par l’État; éliminer plusieurs mesures d’évitement fiscal comme les fiducies et l’utilisation d’instruments dérivés vendus par les banques aux pachas afin de reporter pour longtemps leurs impôts sur la vente d’actions de leurs compagnies; limiter le droit à utiliser les paradis fiscaux et plein d’autres choses. Mais non, pour J.R. Sansfaçon : «Taxer davantage les plus riches, c’est dans la nature de la bête (Québec solidaire)». À la fois pathétique et insultant.

Pour J.R., vouloir augmenter l’impôt des Crésus et des entreprises relève strictement et bêtement de l’«idéologie» : «Les propositions de QS sentent le bricolage inspiré d’une idéologie bien connue pour attirer l’attention en ces temps difficiles…». Donc, accroître les impôts relève de l’idéologie disons socialiste et les baisser découle d’une approche pragmatique, réaliste et lucide. Dire qu’il y en a qui sont impressionnés par des «érudits» de ce genre.

Revenir sur terre avec la Commission fiscale du PLQ

En conclusion de son édito, Sansfaçon suggère en lieu et place des idées subversives de Québec solidaire de «reprendre l’exercice de réflexion là où la Commission d’examen sur la fiscalité (du PLQ, présidé par l’économiste de droite Luc Godbout) l’a laissé, en 2015». Vous m’en direz tant. Le jupon de monsieur dépasse. Pour J.R., il serait préférable de revenir aux conclusions et aux recommandations de ladite Commission libérale sur la fiscalité qui était composée de deux comptables de la firme internationale Deloitte (très calés en matière d’évasion dans les paradis fiscaux et qui n’a pas un seul client provenant du monde ordinaire), un dirigeant de la Banque Scotia, un de la banque Desjardins, une consultante «indépendante» à son compte, etc. Vraiment, une Commission représentative du peuple (La Presse, 13 juin 2014. La solution peut passer par les contribuables). Lesquels?

Je n’entrerai pas dans le détail des recommandations de la Commission fiscale libérale mais disons que c’est sur cela que le PLQ a justifié ses mesures d’austérité et qui, oh surprise, ont été bien reçues par le patronat : «La Chambre de commerce appuie le rapport Godbout (Commission fiscale) dans sa «globalité» qui, dans ses principes, va exactement dans la direction où on veut aller» (La Presse, 4 septembre 2015). Voilà la bible fiscale de notre éditorialiste adoré qu’il nous invite à revisiter.

Et Gérard du Devoir qui copie le C.D. Howe Institute

Certains éditorialistes du Devoir sont vraiment décevants. En plus de J.R., il y a Gérard Bérubé qui soutient, dans son éditorial du 29 septembre 2018, que : «Hausser l’impôt des mieux nantis (les vrais riches de J.R.) ne rapporte pas». Voilà ce que dit l’organisme patronal de recherche du C.D. Howe Institute, dont un de ces éminents chercheurs, Jack Mintz, a suggéré, entre autres, de baisser l’impôt sur le revenu et d’instaurer une taxe (TVQ-TPS) sur les aliments. Alors, se faisant le perroquet dudit institut de «réflexion», Gérard Bérubé nous dit que si on exagère en matière de fiscalité, les riches vont trouver des voies d’évitement (comme les compagnies de gestion, les fiducies, les instruments dérivés, le partage du revenu) en embauchant des experts en fiscalité (comptables, avocats, banques, politiciens, lobbyistes, etc.) afin de payer moins d’impôts, vont recourir davantage à l’évasion fiscale dans les paradis fiscaux où ils vont déménager. Du chantage quoi, présenté comme simples mesures de planification fiscale pour nantis. Nos élus n’ont-ils pas le pouvoir d’abolir des pratiques d’évitement et d’évasion fiscaux réservés aux riches? Les riches ont donc la liberté de s’arranger pour payer moins d’impôts, mais pas les contribuables salariés de la classe moyenne. Alors vous comprenez, pour se sortir de la pandémie, vaut mieux taxer la classe moyenne et les pauvres que de viser la classe supérieure, ce qui serait un sacrilège. Comme l’a dit Sansfaçon dans son homélie fiscale : «Devant la crainte d’un retour à l’austérité, Québec solidaire n’hésite pas à sortir le canon : pour maintenir les services publics, faisons payer les riches, les grosses compagnies et les grands pollueurs. Il suffisait d’y penser». J’ai comme l’impression que l’éditorialiste du Devoir ne vote pas Québec solidaire. Est-ce que je me trompe?

Là où J.R. Sansfaçon erre en matière fiscale, probablement en raison de son manque de connaissance, c’est quand il dit que c’est au Québec que les contribuables sont les plus imposés au Canada et même en Amérique du Nord. Encore l’an passé, Statistique Canada a démontré le contraire. Pour vous en convaincre, je vous invite à lire cet article : «L’impôt sur le revenu presque à son plus bas en 26 ans» (Le Devoir, 25 septembre 2019). Et tant qu’à y être, lisez cet excellent texte publié par Radio-Canada le 6 mars 2020 et rédigé par le journaliste Mathieu Gobeil : «Ces mythes à défaire en matière d’impôts». Oui, si on privatise les universités, les garderies, les aqueducs, les autoroutes, etc., on va payer moins d’impôt à l’État mais plus au privé pour les mêmes services publics. Pour comparer les impôts payés entre provinces et pays il faut prendre les impôts payés tant au public qu’au privé pour les mêmes services publics. Ça ne prend pas une 100 watts pour comprendre ça. Mais pour certains, c’est trop leur demander.

Et comme d’autres, Sansfaçon est dans le champ lorsqu’il affirme qu’au Canada et au Québec nous avons un système fiscal progressif. Il est plutôt régressif. Qu’est-ce qui le rend régressif à l’avantage des riches et des compagnies que vous me demandez? Il y a les milliards de dollars évacués chaque année dans les paradis fiscaux; l’utilisation de fiducies familiales; les gains de capitaux, très populaires chez les gras durs, dont la moitié n’est pas imposable; les options d’achat d’actions octroyées aux dirigeants; les nombreux instruments financiers vendus par les banques; l’incorporation des médecins et d’autres; etc.

En parlant d’idéologies…

Augmenter l’impôt des riches relève de l’idéologie socialiste selon Sansfaçon et d’autres du même acabit. Alors Bill Gates (Microsoft) et Warren Buffet (Berkshire Hataway) ne sont pas de prospères gens d’affaires, ils sont des idéologiques radicaux d’obédience socialistes :

  • «Bill Gates estime qu’il devrait payer plus d’impôt. Il qualifie les baisses d’impôts de Trump de régressif» (Le Devoir, 20 février 2018);
  • «Milliardaires (Warren Buffet) moins imposés que leur secrétaire et leur femme de ménage» (Le Journal de Montréal, 26 septembre 2015);
  • «Aux États-Unis, des milliardaires réclament un impôt sur les super-riches» (Le Journal de Montréal, 26 avril 2019).  

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