
L’effet Janet Yellen sur la fiscalité aux États-Unis
J’ai toujours aimé Janet Yellen, cette grande économiste américaine qui a dirigé pendant plusieurs années la Banque centrale des États-Unis (Fed). Virée par Donald Trump, qui la trouvait trop «socialiste» à son goût, le nouveau présidente démocrate américain, Joe Biden, a eu la bonne idée de la nommer secrétaire au Trésor, l’équivalent de ministre des Finances ici au Canada. Janet Yellen apporte une bouffée d’air frais en matière de politiques fiscales équitables, à mille lieux des sornettes et des fables fiscales larguées ces dernières années et encore aujourd’hui par les commandités québécois que sont les Mario Dumont, Jean Charest, Carlos Leitao et Philippe Couillard; le patronat, les Chambres de commerce, les organismes de recherche financés par les entreprises (Institut économique de Montréal, Conference Board, Fraser Institute, C.D. Howe Institute); Monique Leroux, l’ex-patronne de Desjardins, les économistes universitaires enrôlés (Pierre Fortin et Luc Godbout), les journalistes et chroniqueurs de médias privés, alouette.
Les propos rafraichissants de Janet Yellen
Ça fait longtemps que je n’ai pas entendu des remarques aussi courageuses qui dépeignent de façon aussi clairvoyante la réalité fiscale en Amérique du Nord et dans le monde, tenues récemment par Joe Biden et par sa ministre des Finances, Janet Yellen. Cette dernière a dit ceci : «Joe Biden a été très clair sur ses propositions fiscales de remonter le taux fédéral d’impôt sur les compagnies à 28% contre 21% actuellement (au fédéral, il est de 15% au Canada depuis 2012, alors que le taux d’impôt était de 28% en 2000 et de 36% en 1980)». Madame Yellen a aussi dit que «nous assistons à une course mondiale pour tirer vers le bas la fiscalité des entreprises (encore plus au Canada) et nous espérons y mettre un terme. Je pense qu’un ensemble d’investissements dans les personnes et dans les infrastructures aidera à créer de bons emplois dans l’économie américaine et des changements dans la structure de la fiscalité contribuera à financer ces programmes a également déclaré Janet Yellen» (Le Journal de Montréal, 23 mars 2021). Ce n’est pas Justin Trudeau et François Legault qui auraient eu le courage de dire de telles vérités. Même si les GAFAM américaines ne paient pas d’impôts sur le revenu au Canada et peu ailleurs, Legault a eu l’innocence de clamer : «Legault prend garde (en les taxant) d’effaroucher Google et cie» (Le Devoir, 11 décembre 2019). Ça c’est le côté «pragmatique» de Legault. Il faut dire que les traités de libre-échange ont permis aux transnationales de mettre tous les pays et tous les travailleurs en compétition pour le plus bas dénominateur commun.
Et madame Yellen en rajoute
Janet Yellen a aussi indiqué travailler avec les pays du G20 afin d’instaurer un taux mondial minimal d’imposition des revenus des entreprises de 21%, comme le recommandaient depuis plusieurs années (afin de contrer l’évasion fiscale dans les paradis fiscaux et la course effrénée des pays pour le plus bas taux d’impôt, compétition fiscale entre pays qui profite aux transnationales comme les GAFAM), les dirigeants de la France, de l’Allemagne (mais pas du Québec et du Canada), du Fonds monétaire international (FMI), de l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE) et de la Banque mondiale : «Fiscalité. L’idée d’un taux d’imposition minimum mondial avance (grâce à Janet Yellen et à Joe Biden des États-Unis)» (Le Devoir, 7 avril 2021). Encore félicitations à l’aile progressiste du parti démocrate aux États-Unis qui met la pression sur Biden.
La dernière prise de position du FMI
Dans sa dernière étude, le FMI, qui est loin d’être socialiste, a dit qu’il fallait, au sortir de la pandémie (comme le gouvernement démocrate va le fait aux États-Unis), lutter en priorité contre les énormes inégalités socio-économiques en investissant dans les programmes sociaux (santé, éducation, garderies, etc.) que les gouvernements devront financer en recourant davantage à l’impôt sur les successions, à l’impôt foncier et en augmentant les impôts sur le revenu des entreprises et pas du tout en rehaussant les taxes régressives à la consommation que sont la TVQ et la TPS. Aux États-Unis, il n’y a pas de TPS au fédéral et plusieurs États n’ont pas de TVQ ou en ont un très bas. Pourtant, Biden et Yellen n’ont jamais pensé à cette forme de taxation qui pénalise la classe moyenne et qui favorise les nantis, contrairement à ce que prétendent le patronat du Québec et leurs économistes universitaires Luc Godbout et Pierre Fortin : «La reprise aura besoin d’une «injection d’équité». Les gouvernements du monde devront notamment améliorer le filet social, selon le FMI» (Le Devoir, 2 avril 2021).
Et même un impôt sur la fortune
Ce que nos petits affairistes d’ici et leurs économistes universitaires affranchis locaux doivent fulminer eux qui, depuis toujours, préconisent toujours les mêmes pratiques fiscales inéquitables et dépassées comme baisser l’impôt sur le revenu des riches et des entreprises, tarifier les services publics et privilégier les juteuses hausses de la TVQ et de la TPS. Le gouvernement Biden envisage la mise en place d’un impôt sur la fortune, qui n’est pas sa solution privilégiée (qui est plutôt celle d’augmenter les impôts sur le revenu des nantis) pour faire participer les entreprises et les ménages les plus aisés au financement des dépenses engendrées par la pandémie, a indiqué la secrétaire au Trésor, Janet Yellen. Biden ne ferme pas la porte à un impôt sur la fortune» (Le Devoir, 15 mars 2021). Suggérer ça ici au Québec et vous passez pour un communiste radical fou furieux et jamais vous allez être invité à débattre de cette politique fiscale équitable, qui s’attaquerait de front aux odieuses inégalités économiques, à la télévision, à la radio ou dans nos journaux. Dites-vous qu’ailleurs, il y a des gouvernements moins inféodés aux puissants : «L’Argentine met en application son impôt sur des grandes fortunes» (Le Journal de Montréal, 29 janvier 2021).
Ici, au Québec, les représentants fiscaux du patronat claironnent faussement que nous avons une fiscalité progressive. Cela est un mensonge de luxe. Si vous voulez être invité à TVA ou au Journal de Montréal, il faut plutôt suggérer, comme l’ont fait l’ex-ministre libéral du Québec, Martin Coiteux ou Maxime Bernier, le gars du peuple, de ramener à zéro l’impôt sur le revenu des entreprises, ce qui ferait de nous un vrai paradis fiscal pour les nantis et les compagnies, ce que nous sommes déjà partiellement. Biden et Yellen ne doivent pas avoir demandé l’avis éclairé de notre émérite économiste universitaire en la personne de Pierre Fortin, qui lui pense différemment mais qui pense comme nos affairistes d’ici : «Pour stimuler la croissance, c’est l’impôt des entreprises qu’il faut réduire» (Le Journal Les Affaires, 26 mars 2005). C’est tout de même drôle mais mon collègue Pierre Fortin de l’UQAM pense la même chose que le patronat, comme d’ailleurs Luc Godbout de l’Université de Sherbrooke, abonné du PLQ de Charest et de Couillard. «Le pays s’enrichira (qui au juste?) en réduisant les impôts des entreprises, selon leurs dirigeants. Manufacturier et Exportateurs du Canada prévoit la création (suite à la baisse des impôts corporatifs) de 100 000 emplois (très bien rémunérés) qui généreront de nouveaux revenus pour les gouvernements» (Le Devoir, 13 janvier 2011). Imaginez le nombre de jobs que l’on créerait en ramenant à zéro l’impôt sur le revenu des compagnies. Tout de même bizarre que Yellen et Biden pensent différemment de notre patronat, genre ligue de vieux poêle, et de nos réputés économistes universitaires très appréciés par nos médias privés qui appartiennent à des grosses compagnies ou à des milliardaires. Déjà la TVQ au Québec, taxe très régressive à 10%, est la plus élevée en Amérique du Nord. Mais ça n’empêche pas le futé Luc Godbout de vouloir encore l’augmenter, et même d’assujettir les aliments à la TVQ et aussi le très lucide universitaire des HEC, Robert Gagné, lié au patronat de vouloir, comme ça, l’augmenter à 16%. On appelle ces charlatans des experts et des scientifiques.
L’appel des faiseux québécois et canadiens
En 2017, lorsque Donald Trump a baissé aux States l’impôt fédéral des compagnies de 35% à 21% (encore nettement plus élevé que le taux d’impôt légal statutaire de 15% appliqué au fédéral ici au Canada, les petites girouettes d’ici se sont faits aller les babines et ont prédit presque la faillite du Canada si on ne réduisait pas rapidement l’impôt fédéral de nos compagnies. On brandit souvent, pour vous endormir au gaz, le taux légal ou statutaire d’impôt des individus et des compagnies que personne ne paie dans les faits. Par exemple, le taux légal d’impôt fédéral aux États-Unis est de 21% depuis 2017, mais le taux réel ou effectif d’impôt vraiment payé pour les entreprises est de seulement 7,5%. Ici, au Québec, plusieurs entreprises, même des transnationales très rentables, reçoivent plus en subventions directes et indirectes que ce qu’elles paient en impôt sur le revenu.
La millionnaire et ex-présidente de la Banque Desjardins, Monique Leroux et l’ex-premier ministre libéral du Québec, devenu lobbyiste, Jean Charest, qui en 2017, se sont affolés : «Baisse des impôts aux États-Unis : il nous faut être compétitifs, juge Monique Leroux» (Le Journal de Montréal, 20 mars 2017). C’est aussi elle qui, endossant les politiques des PLQ de Philippe Couillard, avait dit : «L’austérité : le passage obligé des Québécois» (Le Journal de Montréal, 6 octobre 2014). Quant au frisé de Sherbrooke, très inquiet, il a clamé : «Une réduction de l’impôt des entreprises américaines devrait préoccuper le Canada. Un enjeu plus menaçant que l’ALENA selon Jean Charest» (Le Devoir, 17 mars 2017). Madame Leroux et Jean Charest vont-ils pas maintenant suggérer au gouvernement fédéral canadien de hausser le taux d’impôt des compagnies suite à l’augmentation décrétée aux États-Unis par Biden et Yellen afin de l’harmoniser avec ce pays?