GOUVERNEURE GÉNÉRALE DU CANADA :
UN ÉVÉNEMENT VIDE DE SENS ET D’ENGAGEMENT

Jean-Pierre Joly
J’ai quelque peu suivi les cérémonies entourant l’investiture officielle de la nouvelle gouverneure générale du Canada. Son discours de circonstance était pratiquement copie conforme de tous ces discours creux déjà prononcés émanant d’une personne dont on se plaît à qualifier le poste de purement symbolique. Discours convenu, frisant la neutralité, sans mordant et qui n’engage à rien au-delà des paroles. Aucune volonté politique quant aux deux sujets abordés, soient les bouleversements climatiques et la nécessité d’une réconciliation avec les autochtones.
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Alors je me suis pris à rêver et à imaginer un tout autre scénario. J’imaginai une mise en scène comme celle-ci : un premier geste provoquant consistant à déchirer publiquement les feuilles de son discours, les jeter et, une fois libérée, regarder bien dans les yeux le gratin politique virtuellement ou présent devant elle : ministres, sénateurs, ambassadeurs et représentants des partis politiques et leur dire : «Je profite de cette tribune pour vous parler franchement des vraies affaires qui concernent notre pays et dont on vous a confié la gouvernance». Et je l’entendrais leur parler sans aucun texte sous les yeux, mais avec force, conviction et franchise, au-delà de tous accrocs aux traditions, au protocole et aux règles de la diplomatie. Fixant droit dans les yeux tout ce beau monde sûrement ébranlé par l’audace d’une telle mise en scène, je l’imagine leur marteler «les vraies affaires» comme celles-ci entre autres :
«Le Canada est et demeure encore un cancre pour ne pas dire un lâche en ce qui concerne l’engagement climatique. Il subventionne, fait toujours la promotion et justifie sans cesse son appui aux énergies fossiles gazières et pétrolières : achats et projets de constructions de pipelines sont devenus signes flagrants d’une hypocrisie entretenue à l’égard de toutes ces promesses répétées de tout faire pour atténuer ou pour stopper le saccage sauvage du territoire et des océans qui nous entourent et qui exige le respect des droits et de la vie des gens qui l’habitent. Toute cette politique baigne dans le faux, le mensonge et les plus flagrantes contradictions. On apprend encore aujourd’hui que l’on consent à tenir compte d’une augmentation des doses de glyphosate sur des champs de petits fruits et autres cultures déjà grandement aspergés d’insecticides. Tout cela, nous le savons que trop bien, ne tient absolument plus devant l’urgence d’agir.
Discourir sur la santé, le bien-être et la sécurité des canadiens ne passe plus surtout chez les jeunes générations, de même que certains raisonnements comme les effets supposés néfastes sur des emplois bien rémunérés ou encore cette très douteuse affirmation, à savoir qu’il est toujours possible de concilier croissance et protection de l’environnement.»
Je crois sincèrement qu’après un premier effet de surprise, les jeunes qui auraient écho d’un tel discours applaudiraient avec enthousiasme en soupirant : «Enfin! Tout est dit en toute clarté, vérité et conviction et, en plus, adressé à ceux et celles qui doivent prendre la décision d’agir maintenant.»
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La fonction et le rôle du ou de la gouverneure générale du Canada est de représenter la reine au pays; et la reine représente l’empire britannique, un empire colonisateur qui a su tabler sur la force militaire pour coloniser et s’imposer. Les autochtones en ont subi les tristes et meurtrières conséquences dans leur histoire. Alors comment s’expliquer qu’une autochtone accepte d’être investie comme représentante de cet empire qui a si durement colonisé les siens? À observer de près la liturgie de cette cérémonie d’investiture, on y trouve des traces de conquêtes militaires : 21 coups de canons, survols d’avions de combat, inspection d’un régiment militaire. Lors de la visite d’un membre de la famille royale dans notre pays, le premier contact se fait toujours avec le personnel d’une caserne militaire. Le ou la gouverneure générale nous représente-t-elle? Elle représente et perpétue une ère coloniale qui a, entre autres, déporté injustement et cruellement une paisible population acadienne.
Il existe une autre représentante auprès des jeunes générations : elle n’a aucun pouvoir politique, ne représente aucun empire répressif, ne se plie à aucun protocole ni n’use d’un langage diplomatique ou louvoyant. Elle continue de s’adresser aux élites politiques du monde entier en démontrant leur inertie concernant la menace des changements climatiques. La jeune Greta Thunberg est de cette trempe qui devrait faire honte à tous ces discours «doucoureux» à propos de l’urgence de s’attaquer aux dramatiques effets des changements climatiques. De plus, elle ne craint pas d’en démontrer les conséquences auprès des pays et populations les plus vulnérables à ces bouleversements. Deux mondes s’offrent à nous : le premier cousu d’hypocrisie, de langue de bois et d’inaction, le second émanant d’une jeunesse franche qui ose ouvertement et sans peur s’attaquer «aux vraies affaires». La gouverneure générale aurait-elle eu l’audace de s’exprimer aussi vigoureusement que Greta l’a fait et persiste à le faire? Voici des extraits de ses interventions :
- «Compte tenu des niveaux actuels d’émission, cela implique que les pays développés (comme le nôtre) doivent parvenir à zéro émission dans les six à douze ans pour que les populations des pays les plus pauvres puissent se doter des infrastructures que nous possédons déjà… y compris l’accès à l’eau potable… Alors pourquoi ne réduisons-nous pas nos émissions? Pire encore, pourquoi les laissons-nous augmenter…? Si j’ai des enfants, peut-être me poseront-ils des questions sur vous, pourquoi vous n’avez-vous rien fait alors qu’il était encore temps d’agir?»
- «Il n’y a pas pire que votre silence.»
- «Je ne veux pas que vous soyez plein d’espoir. Je veux que vous paniquiez. Je veux que chaque jour vous ayez peur comme moi. Et je veux que vous agissiez.»
- «Vous ne pouvez pas rester sans rien faire à attendre que l’espoir vous tombe dessus.»
Ces paroles franches et directes sont accompagnées d’un geste concret comme celui de faire la grève assise au pied du Parlement suédois. La jeune Greta parle en notre nom à tous, elle se fait la représentante d’une humanité qui s’interroge sur la menace des changements climatique, alors que la gouverneure générale nous parle au nom d’une reine, symbole d’un empire colonisateur.
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Qu’aurait pu ou dû dire de plus la gouverneure générale? Je lui aurais soufflé ces quelques mots au sujet de la responsabilité gouvernementale sur le plan social tant au niveau national qu’international. J’aurais rappelé à ces élus ce que peut-être ils ne se souviennent même plus à savoir leurs engagements non seulement à partager mais surtout à venir en aide à des pays moins favorisés pour toutes sortes de raisons. C’était en 1969; le Canada avait pris l’initiative de négocier avec d’autres gouvernements occidentaux le chiffre de 0,7 pour cent du PNB comme niveau légitime de l’aide étrangère des pays industrialisés. Comble d’ironie, on constate avec gêne que certains pays du G7 ou 8, le Canada compris, ne se rapproche même pas de la cible. Cinq pays l’ont atteinte ou dépassée. Aujourd’hui, en 2021, la contribution canadienne en est à un maigre et honteux 0,2%. Le pire c’est qu’aucune pression ne se manifeste pour corriger ce minable pourcentage; personne ne soulève un tel scandale en période électorale. Nous entretenons le même comportement égoïste quand la situation sanitaire de certains pays face à la pandémie de la COVID 19, exigerait de notre part un partage généreux des vaccins. Que dire de la paralysie gouvernementale vis-à-vis du continent africain dont nous exploitons les richesses avec d’autres nations riches, que ce soit directement ou avec une évidente complicité. Le gouvernement canadien ne sait que trop bien les abus, les injustices, les dégâts environnementaux des minières canadiennes en Afriques et partout dans le monde. Le gouvernement va jusqu’à refuser d’acquiescer à la demande répétée d’instituer une poste ombudsman avec de réels pouvoirs pour recevoir et condamner les plaintes plus que justifiées des gens exploités par ces monstres qui accumulent de faramineux profits sur le dos des autochtones avec lesquels ils ne partagent que des déchets toxiques. Nous pourrions compléter avec cette avalanche de promesses non tenues : adoption d’un système électoral plus démocratique, adoption de lois contraignantes réglant le scandaleux et inexcusable recours aux paradis fiscaux de même que l’incapacité à imposer taxes et redevances aux géants qui nous contrôlent de plus en plus. On pourrait ajouter à cette liste cette inhumaine bureaucratie qui maintient de nombreux migrants et réfugiés dans une attente de réunifications familiales
Voter des lois plus justes, corriger de multiples injustices touchant les plus vulnérables s’avèrent des devoirs qui méritent mieux que des réponses du genre : Ce serait trop compliquer! Ce serait irréaliste! Par exemple ouvrir la Constitution afin d’abolir cette honteuse loi sur les Indiens. Bref, c’est outrageusement préférer le statu quo au détriment des droits de la personne.
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J’écris ce texte en m’inspirant de la fougue des prophètes bibliques en ce qui a trait à l’injustice sociale envers les pauvres. Leurs messages exclus toute langue de bois et souvent sont accompagnés de gestes spectaculaires qui provoquent la question : «Mais que veux-tu nous dire par le geste que tu poses devant nous»? Je cite le prophète Jérémie qui publiquement pose le geste suivant sur l’ordre de Yahvé : «Va t’acheter une cruche de potier. Prends avec toi les anciens du peuple; tu briseras cette cruche sous les yeux des gens et tu leur diras : Ainsi parle Yahvé : Je vais briser ce peuple comme on brise le vase du potier, qui ne peut plus être réparé (Jér 19, 1. 10),» Quant au prophète Ezéchiel, il a mimé la fuite de l’émigrant : «Et toi, lui dit Yahvé, fais-toi un bagage d’exilé et part en exil sous leurs yeux… Tu sortiras le soir, à leurs yeux, comme sortent les exilés. À leurs yeux, fais un trou dans le mur et tu sortiras dans l’obscurité. On te dira : «Que fais-tu là?» Et, de la part de Yahvé, tu leur diras qu’ils iront en déportation (Ez 12, 3-6. 11).»
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La gouverneure générale aurait pu raconter ce récit biblique qui s’applique clairement à ce que nous vivons et faisons vivre aux autres, surtout aux autochtones du pays. Je le cite en ces simples mots :
Un Juif, du nom de Nabot, possédait une vigne transmise par ses ancêtres. Le roi Achab, roi faible et non satisfait, demande à Nabot de lui céder sa vigne afin de la transformer en potager accessible et près de son palais, et se dit prêt à mettre le prix exigé. Nabot refuse carrément alléguant que sa vigne n’a aucune valeur marchande mais une valeur patrimoniale qui ne se monnaye pas. La reine, femme de caractère, décide de prendre les choses en main et de manigancer la mort de Nabot. Procès truqué sur la place publique, embauche de faux témoins, fausses accusations pour finalement en arriver à la condamnation à mort de Nabot. Le roi peut alors aller prendre possession de la vigne de Nabot. Mais surgit un prophète, Élie, reconnu comme représentant et porte-parole de Yahvé. Élie va vers Achab et lui dit : «Qu’as-tu fait? Tu as fait ce qui déplaît à Yahvé». Élie se présente ici comme témoin de l’authentique conscience humaine auprès de celui qui cautionne l’injustice et le meurtre.
Ce récit revêt toute son actualité. Le Canada s’est emparé et cherche toujours à s’accaparer les territoires autochtones même protégés par des traités. On essaie de les acheter, mais leur réponse, comme celle de Nabot, demeure que ces territoires sont ancestraux et non monnayables. De plus, notre pays veut en faire l’acquisition pour les transformer en sites d’extraction, en d’autres mots en changeant leur vocation première qui consiste à conserver intacte des territoires de chasse et de pêche nécessaires à leur survie et à la sauvegarde de leurs traditions. La nouvelle gouverneure générale aura-t-elle eu l’audace d’être, comme Élie, cette conscience sociale et juste envers les peuples des Premières Nations?
On parle d’élections prochaines, aurons-nous l’audace de poser des gestes qui sauront aller bien au-delà d’une simple tradition électorale répétitive qui ne soulève que très peu d’engagements sérieux en faveur de la protection de l’environnement et de gestes concrets à l’égard des moins favorisés de notre pays?