
L’État minimal et sa main invisible
Vous le savez bien, l’économie de marché, avec ses milliers d’agents économiques qui se livrent entre eux une concurrence acharnée et dans laquelle n’y en a aucun qui domine par son envergure dans tous les secteurs d’activités, est une vue de l’esprit. Oui, le consommateur est censé obtenir toujours le plus bas prix grâce à cette «farouche» compétition. Mais cette théorie économique encore enseignée au collège et à l’université n’existe qu’en théorie et pas dans la vraie vie. Les quatre grandes pétrolières au Québec affichent toutes le même prix et l’augmentent toutes en même temps alors qu’elles sont supposément très concurrentielles. Idem dans l’internet et le téléphone sans fil avec la mafia Rogers, Vidéotron, Telus et Bell qui nous font payer les prix les plus élevés en Occident. Et que dire du cartel bancaire canadien qui lui aussi augmente toujours simultanément les taux d’intérêt et leurs frais bancaires. Ben non, Google, Facebook, Amazon et Microsoft ne dominent pas leurs marchés respectifs et ont peu de pouvoir sur l’État et les politiciens, même si elles financent généreusement les partis politiques.
L’État généreux avec notre argent versé aux «chumocrates»
La main invisible de l’État est censée être partie prenante de l’économie capitaliste de marché sauf quand vient le temps de verser chaque année aux agents économiques des milliards de dollars en subventions publiques. C’est du socialisme à l’envers dans lequel l’État finance les entreprises, souvent des multinationales milliardaires. Dans le domaine bancaire canadien, l’État est pourtant présent intensément, en laissant toutefois aux institutions financières privées ce qui est payant et en prenant en charge tout ce qui est risqué et pas payant avec l’intervention de nos banques publiques comme Exportation et développement Canada (EDC), la Société canadienne d’hypothèque et de logement (SCHL), Investissement Québec, la Banque fédérale de développement, etc.
Après ça, le patronat et ses entrepreneurs plaident quand même pour l’État minimal… pour les autres et pour que les services publics comme la santé et l’éducation soient considérées comme des marchandises et des services à soumettre aux pseudo-lois, supposément naturelles, de l’offre et de la demande. Donc il faut les privatiser. De même, il faut privatiser toutes les ressources naturelles collectives, allant de l’eau aux forêts en passant par le pétrole et les mines. Ah qu’il fait bon vivre dans un tel système paradisiaque qui génère d’immenses inégalités économiques, beaucoup de corruption et de paradis fiscaux et dans lequel les transnationales sont plus riches et plus puissantes que l’État qui lui est assujetti. C’est la dictature capitaliste. Le prix des médicaments, du pétrole, de l’internet, des taux d’intérêt augmente et l’État ne peut rien faire, même si les entreprises réalisent des milliards de dollars en profit chaque année. Même qu’il doit leur verser des milliards pour que le CN, Air Canada et les Internets aillent en région.
La spéculation
Cela est tout simplement formidable : comme tout est livré au marché, même les aliments de base et l’eau, cela donne lieu à un terrain de jeu pour les spéculateurs financiers qui influent et infléchissent le prix du blé, du soja, du bœuf, du café, du pétrole et même de l’eau. Une bonne partie des récentes hausses du pétrole et des aliments n’est pas du tout due à des phénomènes naturels mais bien en raison de la spéculation et du cartel de l’alimentation au détail au Québec et au Canada composé des Sobeys-IGA, Provigo-Loblaw et Métro et de celui des pétrolières formé d’Ultramar, de Shell, d’Esso et de Pétro.
Premier exemple portant sur la pénurie de travailleurs et des salaires versés
Quelle merveilleuse application des principes de l’économie de marché dans laquelle l’État est minimal, n’intervient pas et sa main est invisible. Comme il y a rareté de main d’œuvre, les travailleurs sont censés avoir un rapport de force certain face à l’employeur afin d’obtenir des hausses de salaires. Oui, le patronat et l’employeur sont d’accord pour les augmentations de salaires mais surtout payées par l’État, avec cette fois sa main qui devient «visible».
Oui, l’hypocrite Conseil du patronat du Québec et son économiste en chef, Norma Kozhaya, qui provient de l’Institut économique de Montréal (IEDM), un organisme de lobbyisme privé de la droite radicale, ont demandé au gouvernement du Québec et du Canada d’augmenter la subvention directe (crédit d’impôt) pour la prolongation de la carrière et de hausser le supplément de revenu garanti : «Rendre le travail plus payant (aux frais de l’État) pour les ainés» (Le Devoir, 10 décembre 2021). Donc c’est à l’État de payer effectivement les hausses de salaires des travailleurs. Et le gouvernement prend l’argent où? Pas auprès des entreprises qui exigent plutôt des baisses d’impôts afin de les aider à traverser la pandémie et qui quémandent de grosses subventions. Pas non plus auprès des très riches qui sont, selon leurs faire-valoir, déjà trop taxés, très mobiles et qui, à l’aide de leurs aimables comptables professionnels, ont à leur disposition plusieurs échappatoires fiscales. Alors, on prend l’argent où, je vous le redemande? Ah oui, on peut toujours couper, varger et privatiser les services publics, une idée qui réjouit et enthousiasme le patronat.
Pour faire peur aux gens on parle de la «chasse» aux riches opprimés fiscalement
Mes amis, le 16 septembre 2021, le chroniqueur Michel Girard du Journal de Montréal a publié un texte intitulé : «Surtaxer les riches rapporterait». Vous voyez, à chaque fois que l’on veut que les riches, qui, souvent, ont un taux d’impôt effectif inférieur au travailleur salarié, paient leur juste part d’impôt, les majorettes parlent alors de «surtaxer» les riches comme s’ils ployaient sous un déluge fiscal. On parle juste de taxer tout le monde équitablement en fonction du revenu économique gagné et de la richesse accumulée.
Le patronat a la même idée que l’aimable journaliste
Les journalistes de la presse écrite sont supposément indépendants et objectifs. C’est ce qu’ils prétendent même s’ils préconisent généralement les mêmes politiques économiques, sociales et fiscales que le patronat. Tout de même curieux.
Et ben! Le journaliste économique du JDM, le charmant Pierre-Olivier Zappa, pense exactement comme le patronat sur qui doit payer la hausse de salaire des travailleurs ordinaires, comme il l’a signalé dans son brillant article du 4 décembre 2021 : «Baisser les impôts pour contrer la pénurie». Zappa a même dit que «l’État devrait «alléger» le fardeau (sic) fiscal des contribuables». Diminuer le calvaire fiscal des contribuables ordinaires mais sans taxer davantage les contribuables extraordinaires. Tout un dilemme, n’est-ce pas?
Deuxième exemple traitant des garderies privées : une baisse d’impôt déguisée pour les riches
Lors de la dernière mise à jour économique du gouvernement caquiste du mois de novembre 2021, François Legault et son ministre des Finances, Éric Girard, étaient heureux d’annoncer une hausse des subventions gouvernementales pour les parents utilisant des garderies «privées», aide supplémentaire qui peut excéder 1300$ pour les familles ayant des revenus dépassant 100 000$ l’an. Le gouvernement caquiste a dit qu’il devait aider les parents qui ont recours aux garderies privées à but lucratif en raison de la pénurie permanente et voulue de garderies publiques (CPE). La CAQ s’est toujours montrée favorable aux garderies privées.
Quelle farce grotesque. Les familles aisées, c’est en plein ce qu’elles veulent : subventionner généreusement leurs garderies privées, comme on l’a toujours fait pour leurs écoles privées, leurs cliniques et leurs hôpitaux privés qui n’ont de privé que le nom. Ils n’ont que faire des garderies et des écoles publiques, ils n’en veulent pas car jamais ils ne s’abaisseraient à envoyer leurs enfants dans des écoles et des garderies publiques au beau milieu d’autres enfants issus de familles ordinaires et pauvres. Ce serait insultant pour eux. Cela va à l’encontre de leurs principes moraux. Ah qu’ils ont apprécié les récentes hausses des subventions directes (crédits d’impôt) qui leur seront versées par le gouvernement caquiste afin que leur progéniture puisse continuer à fréquenter leurs belles garderies privées : «Québec distribue ses revenus imprévus» (Le Devoir, 26 novembre 2021). Bravo, encore des baisses d’impôt consenties aux nantis qui passent inaperçues et sans que nos aimables journalistes en parlent. En effet, il y a trois ans, les riches propriétaires de belles grosses maisons ont eu droit à une diminution substantielle de leur taxe scolaire, gracieuseté de la CAQ, qui vient de récidiver lors de sa dernière mise à jour économique en saupoudrant les nantis de millions de dollars supplémentaires afin que leurs mignons petits enfants puissent paisiblement continuer à fréquenter leurs chaleureuses garderies privées à but lucratif avant de passer à leurs sympathiques écoles privées subventionnées à 75% par des fonds publics. Ainsi va la vie!