
Le fisc à l’école primaire et à la télé
Chaque année, depuis belle lurette, le Québec et le Canada perdent des milliards de dollars chaque année en impôts esquivés grâce à l’utilisation intensive des paradis fiscaux, des abris fiscaux et des échappatoires fiscales, pratiqués par les compagnies et les nantis, bien conseillés à cet effet par des comptables, des avocats et des banquiers qui militent pourtant tous pour la responsabilité sociale de l’entreprise : «Paradis fiscaux : en 2019, 381 milliards$ (353G$ en 2018) d’actifs transférés par des entreprises canadiennes» (Le Journal de Montréal, 22 juillet 2020 et 24 avril 2019).
En feuilletant dans mes vieux dossiers d’articles de journaux, j’ai ressorti deux interventions moralisatrices du fisc québécois effectuées en 2000 et 2012. En 2000, imaginez-vous donc que Revenu Québec a rédigé et distribué du matériel, plus démagogique que pédagogique, à toutes les écoles primaires du Québec, à être enseigné aux jeunes de la 5e année. Il y avait aussi du beau matériel didactique pour les professeurs, probablement accompagné de cahiers à colorier. Selon les prétention du fisc, ces outils de «sensibilisation» avaient pour but de former «la conscience des futurs contribuables». Que c’est beau! Le «Petit magazine» du Ministère du Revenu voulait faire comprendre à nos rejetons les méfaits du travail au noir sans exiger et sans émettre des factures en bonne et due forme : «Le fisc prêche à l’école primaire. Du matériel didactique de Revenu Québec vise à mettre en garde les élèves de 5e contre le travail au noir» (Le Devoir, 13 avril 2000).
En 2012, le fisc récidive : toujours le même modus operandi
En 2012, Revenu Québec, alors présidé par le lumineux évangéliste Jean St-Gelais, a eu la brillante idée géniale de faire moderne et de se payer des messages «patriotiques» télévisés afin de «conscientiser» le peuple à son devoir citoyen de payer tous ses impôts et taxes en ne recourant point au très laid travail au noir. Se transformant en bonhomme sept-heures, le président d’alors a fait peur eu monde : si vous continuez à faire du marché au noir, c’est simple, le Québec va faire faillite, comme la Grèce y est presque parvenue suite à la crise financière mondiale de 2008 occasionnée par la cupidité sans limite des grosses banques : «Québec doit éduquer les contribuables (surtout ordinaires) s’il veut éviter le sort de la Grèce» et «Fraude fiscale. Le président de Revenu Québec dit qu’il faut éduquer (sic) les contribuables» (La Presse et Le Devoir, 17 avril 2012). Tellement grossier et primaire d’infantiliser et de moraliser ainsi les gens. Cette petite personne qu’est Jean St-Gelais aurait dû être congédié sur le champ. Pour qui se prend-il de faire ainsi l’écho du patronat et des pachas? L’économiste «émérite» de l’UQAM, inféodé au patronat, Pierre Fortin, avait lui aussi prédit la faillite du Québec si on ne coupait pas «généreusement» dans tous les programmes sociaux et si on ne privatisait pas Hydro-Québec, la SAQ et la santé publique. Ce que les grands esprits se rencontrent tout le temps et en tout lieu.
Rien sur les compagnies, les Crésus et leurs abris, échappatoires et paradis fiscaux
À l’école primaire, afin de correctement conscientiser les jeunes, il aurait fallu que ledit manuel scolaire pédagogique qui leur était adressé parle du manque de solidarité probant du privé et des nantis qui prive le Québec et le Canada de milliards de dollars chaque année en raison de la fraude fiscale qu’ils pratiquent, avec la complicité des élus et de Revenu Québec, en raison de l’emploi répété et intensif d’échappatoires et de paradis fiscaux. Et comme si ce n’était pas assez comme privilège fiscal consenti au gratin, le gouvernement en rajoute continuellement et multiplie pour eux, afin qu’ils paient moins d’impôts, des abris fiscaux comme ceux liés aux gains de capitaux, aux options d’achats d’actions, à l’incorporation, aux instruments financiers, aux fiducies familiales, au fractionnement du revenu, au report d’impôt, aux dépenses fiscales accélérées, etc.
La liberté pour certains de frauder au vu et au su des gouvernements démocratiques mais pas libres
Le matériel pédagogique de Revenu Québec contenait-il cette information pertinente sur la véritable nature de la fiscalité régressive du pays en identifiant ceux qui, tout en étant très riches (et qui distribuent en même temps leurs judicieux conseils sur comment moderniser l’État en coupant de façon conviviale), fraudent l’impôt à tour de bras? Ce sont ceux-là que le p.d.g. d’alors de Revenu Québec aurait eu intérêt à éduquer et même suggérer d’emprisonner : «Entreprises québécoises. Des milliards conservés à l’étranger» (La Presse, 30 août 2014). Le petit livre pédagogique et didactique du fisc aurait pu expliquer aux étudiants du primaire l’impact dévastateur sur le financement de nos services publics, entre autres l’éducation, de ces milliards de dollars détournés chaque, libres d’impôt, dans les paradis fiscaux. Plus facile de pointer le garagiste qui se fait payer «cash» et du jeune qui n’émet pas de facture aux parents qui ont fait garder leurs enfants. L’article de La Presse du 30 août 2014 concernait seulement les entreprises québécoises qui font des affaires d’or dans leurs paradis fiscaux mais auquel il faudrait ajouter les milliards de dollars transférés par les particuliers.
Des omissions dans les manuels scolaires et dans les messages télévisés
On aurait pu, mais on ne l’a pas fait et on ne le fera jamais afin de ne pas irriter l’élite qui finance et corrompt les politiciens. Dans les livres d’école et dans les messages d’intérêt public transmis à la radio et à la télévision, on aurait pu expliquer aux jeunes et aux moins jeunes c’est quoi au juste, quel est leur impact sur les finances publiques et qui sont impliqué dans les Paradise, Panama et Pandoria Papers : «109 entreprises québécoises (que l’on aurait dû nommer) rattachées aux Panama Papers» (Le Journal de Montréal, 11 avril 2016). À force de fouiller et de gratter, on en a trouvé d’autres qui font partie de notre fleuron entrepreneurial : «188 nouvelles compagnies des Panama Papers liées au Québec» (Le Journal de Montréal, 10 mai 2016). On aurait pu poser comme question à nos marmots : «Juste pour voir, essayez donc de trouver une grande entreprise québécoise qui n’a pas recours aux paradis fiscaux?». Une autre idée, juste comme ça, afin que le cours et la pub soient plus réalistes et pratiques, on aurait dû inviter en classe ou à la télé un comptable, un banquier, un avocat et un affairiste afin de parler concrètement de leur expérience dans la vraie vie. C’est ça un vrai cours de littératie financière.
Pourquoi pas un chapitre consacré à Legault, Couillard et cie?
Le matériel «pédagogique» l’aurait été vraiment si on avait inclut un chapitre sur l’expérience fiscale de l’ex-premier ministre libéral du Québec, Philippe Couillard, lors de ses années de travail en Arabie saoudite, un paradis fiscal, et de son gros compte bancaire de l’île Jersey. Le texte aurait pu être aussi accompagné d’un beau vidéo mettant en vedette «l’érudit» Couillard. Les jeunes auraient adoré et cela aurait fait aussi une très bonne pub à la fois éducative et captivante que l’on aurait pu intituler : «nos élus en action dans la vraie vie» ou encore «la face cachée de ceux qui nous disent de payer nos impôts et qui nous font la morale».
Pour ne pas faire de jaloux, un autre chapitre aurait pu être réservé à François Legault, qui a juré dans un premier temps n’avoir jamais eu recours aux paradis fiscaux jusqu’au moment où la mémoire lui est revenue et qu’il a dû admettre que oui, son ancienne compagnie qu’il a cofondée, Air Transat, avait une filiale à la Barbade : «Legault se contredit sur les paradis fiscaux» (Le Journal de Montréal, 25 janvier 2016). Et même plus, on pourrait voir dans la pub ou dans le vidéo l’affairiste Charles accroché aux subventions publiques Charles Sirois, qui a fondé avec Legault la CAQ, venir défendre bravement et sans aucune gêne l’usage des paradis fiscaux : «Charles Sirois cautionne l’utilisation de filiales étrangères» (TVA Nouvelles, 28 mai 2012). Et il faudrait les admirer.
D’autres idées afin de mettre en valeur nos faiseux et fumistes
Dans les pubs à TVA et dans le JDM, pourquoi ne pas épiloguer sur ceci : «Une société de Québecor Média à la Barbade (comme pour Air Transat de François Legault)» (La Presse, 3 avril 2014). Et puis, dans La Presse et le Soleil, afin de traiter nos bonzes équitablement, on devrait expliquer aux jeunes le «bien-fondé» fiscal de cela : «Power Corporation fait son nid aux piles Caïmans» (Le Journal de Montréal, 7 mai 2019). Il ne faudrait pas oublier nos bandits corporatifs québécois reconnus de fraude et de corruption : «Pots-de-vin versés par SNC-Lavalin. 22,5 millions$ cachés dans des paradis fiscaux» (Le Journal de Montréal, 30 novembre 2012). Dans le bouquin pédagogique adressé à nos jeunes du primaire, afin de les éveiller à la fiscalité pour qui et pourquoi, on verrait des copains qui, en signe d’amitié, viendraient les rejoindre, comme le siphonneux de fonds publics par excellence qu’est Bombardier : «Optimisation fiscale. Bombardier n’est pas seule (hourra!) au Luxembourg» (La Presse, 11 décembre 2014). Alain bouchard, l’exécrable président et cofondateur de Couche-Tard, a déjà dit que le Québec est sur le B.S. Alors là, nos jeunes apprendraient en partie pourquoi : «Couche-Tard se magasine un (autre) paradis fiscal» (Radio-Canada, 11 novembre 2017).
Eugénie Bouchard aux Bahamas
Pour que nos jeunes et le bon peuple puissent en savoir plus sur la fraude fiscale (bien plus condamnable que le travail au noir) liée aux abris, échappatoires et aux paradis fiscaux, on pourrait voir Eugénie Bouchard dans la pub télévisée nous dire pourquoi elle est déménagée du Québec aux Bahamas. Et on verrait aussi Philippe Couillard, un autre adepte des paradis fiscaux, venir défendre le choix d’Eugénie au nom de la liberté individuelle : «Paradis fiscaux : «liberté» plaide le chef du PLQ» (Le Journal de Montréal, 11 septembre 2018). Liberté et même droit du gratin de ne pas payer d’impôts s’entend.
Alors vos livres et vos pubs moralisateurs adressés au monde ordinaire, vous savez quoi en faire…