La révolution fiscale transformée en pétard mouillé

https://www.ledevoir.com/monde/etats-unis/599639/entrevue-avec-l-economiste-gabriel-zucman-revolution-fiscale-en-vue-aux-etats-unis

La fiscalité des compagnies et des riches responsable du démantèlement de nos services publics

Mes amis, au cours des cinquante dernières années, vos gouvernements ont baissé radicalement l’impôt sur le revenu des entreprises et des nantis privant ainsi l’État de milliards de dollars en recettes fiscales chaque année. En plus, ils ont aboli la taxe de vente payée par les manufacturiers; les tarifs douaniers qu’ils payaient, gracieuseté des traités de libre-échange; les impôts successoraux; réduit l’impôt sur les gains de capitaux; multiplier les échappatoires fiscales comme l’achat d’instruments financiers à la banque afin de reporter pendant très longtemps les impôts et la création de fiducies et de compagnies de gestion. Sans oublier évidemment l’explosion des paradis fiscaux réservés à la classe dominante que nos gouvernements pourraient facilement éliminer grâce à la levée d’interdictions de transiger avec eux, d’utiliser le dollar ou l’euro, par l’instauration d’embargos et de sanctions, etc. Ben non, ils préfèrent réserver leurs douces sanctions contre les méchants pays récalcitrants qui ne veulent pas se soumettre à l’ordre capitaliste occidentale qu’ils appellent pompeusement «démocratie».

La preuve irréfutable qui tue

J’ai une preuve bien simple juste pour vous. Uniquement au niveau fédéral au Canada, l’impôt sur le revenu des entreprises était de 40% en 1970, ramené à 28% en 2000, à 19% en 1990 et à 15% en 2013. Cela représente des milliards de dollars chaque année en moins versés par les entreprises au gouvernement fédéral et impliquant seulement l’impôt sur le revenu. Ce fut la même chose au niveau provincial. Alors, ces mêmes compagnies et pachas qui ont quémandé des baisses d’impôts ont, en plus, exigé de sabrer dans les programmes sociaux et de privatiser nos sociétés d’État et nos ressources naturelles afin de compenser le manque à gagner du gouvernement en termes de recettes fiscales dont ils sont responsables. En plus, afin d’aider la classe supérieure, nos gouvernements ont augmenté les impôts et les taxes de vente de toutes sortes de la classe moyenne. Et pendant qu’ils réduisaient l’impôt des entreprises, ils augmentaient considérablement les subventions gouvernementales versées à ces mêmes entreprises, bien souvent des transnationales milliardaires.

Les entreprises recouvrent plus de l’État qu’elles en donnent

Ça fait qu’au Québec et au Canada aujourd’hui les entreprises reçoivent plus de l’État chaque année en aide gouvernementale directe (subventions et prêts) et indirecte (Hydro-Québec, Investissement Québec, Exportation Canada, Banque de développement du Canada, etc.) qu’elles paient en impôts sur le revenu. Voilà pourquoi le patronat milite toujours pour moins d’impôts et de taxes, idéologie qui se conjugue évidemment avec moins d’État et plus de privé. Cela, tout en incluant les traités de libre-échange, a fait exploser les inégalités économiques au cours des cinquante dernières années et accru l’inégalités des chances face aux biens sociaux premiers due à la privatisation et au sous-financement chronique de nos programmes sociaux. Voilà pourquoi la santé, l’éducation, les garderies, le transport en commun publics craquent de partout. Comme le recommandent l’ONU, l’OCDE et le FMI, il faudrait instaurer une fiscalité plus équitable et plus progressive en taxant davantage les compagnies et les riches, en sabrant dans leurs subventions publiques et en éliminant leurs paradis fiscaux. Plus facile et plus payant pour nos partis politiques inféodés de suggérer encore et toujours des baisses d’impôts et la privatisation de nos services publics et de nos instruments collectifs qui nous restent.

Même pas question de taxer les profits immoraux

Mes amis, la pandémie et la guerre en Ukraine ont servi de prétexte facile pour les entreprises d’augmenter leurs prix qui ont résulté en des profits mirobolants comme dans les domaines de l’alimentation, de l’essence, des médicaments, des matériaux de construction, etc. qui sont responsables de l’inflation galopante et qui pénalise la classe moyenne. Afin d’aider le monde ordinaire, en 2021, le directeur parlementaire fédéral du budget a suggéré une taxe sur les profits exceptionnels des banques et des assurances (Le Devoir, 28 avril 2021). Fin de non-recevoir du gouvernement libéral fédéral de Justin Trudeau. Irrévérencieux de suggérer de telles mesures socialistes dans le merveilleux monde capitaliste.

Le NPD suggère une mesure équitable : tant pis pour lui

Et puis, au mois de mars 2022, le Nouveau parti démocratique (NPD) a demandé au gouvernement fédéral d’instaurer une taxe spéciale sur les profits démentiels réalisés sur le dos des clients captifs pris en otages par ces transnationales (avec la complicité des élus), des compagnies pétrolières, bancaires, chaînes d’alimentation au détail, pharmaceutiques, GAFAM, etc. Mal lui en pris au NPD car le gouvernement fédéral de Justin Trudeau a encore une fois trouvé qu’il ne faut point taxer davantage les pontifs et les monarques corporatifs, même un petit peu, comme le recommandent pourtant le FMI, l’ONU et l’OCDE, qui sont loin d’être d’obédience socialiste : «La motion du NPD, appuyée par le Bloc québécois, pour taxer les profits excessifs, a été balayée du revers de la main par les libéraux et bien évidemment par les conservateurs» (Le Devoir, 23 mars 2022). Et le PLC a récidivé au mois d’août 2022 : «Malgré les critiques, Ottawa (PLC) ne compte pas taxer davantage les pétrolières et les gazières» (La Presse, 6 août 2022). Au contraire, Trudeau va les subventionner davantage afin d’exporter plus de pétrole issu des sables bitumineux de l’Alberta et du gaz de schiste, qui est loin d’être «naturel», en Europe afin de tasser son ennemi juré depuis toujours et de celui de son maître américain, la Russie.

Les belles paroles de Joe Biden et des démocrates

Afin de se donner une image progressiste et d’appâter les gens, les démocrates de Joe Biden, aussi impérialistes que les républicains, ont promis ces dernières années de biens belles choses au peuple américain qui se sont avérées, hélas, une autre balloune gonflée à l’hélium. Comme les transnationales américaines servent de mercenaires économiques yankees à travers le monde qui aident à assoir la suprématie des States (comme leurs GAFAM, leurs pétrolières, leurs pharmaceutiques, leurs banques, etc.) et comme les riches financent à coups de milliards leur parti politique, il faut juste faire semblant de dénoncer l’injustice fiscale et de promettre, sans jamais passer à l’acte, d’instaurer une fiscalité juste et équitable :

  • «Biden veut revenir sur les baisses d’impôts de Trump et s’attaquer aux niches fiscales» (Le Journal de Montréal, 28 avril 2021). À ce jour, Joe n’est revenu et ne s’est attaqué à rien du tout;
  • «L’administration Biden confirme vouloir augmenter les impôts des sociétés» (Le Journal de Montréal, 23 mars 2021). Ce n’était qu’un «vœu» pieux, un mensonge quoi!;
  • «Washington (Biden) pourrait taxer les gains dormants des super-riches pour financer les dépenses sociales» (Le Journal de Montréal, 25 octobre 2021). Il est bien dit dans le titre de l’article «pourrait». Mais Joe n’a pas pu et les milliards de gains dorment encore paisiblement en paix aux States et dans leurs paradis fiscaux;
  • «Biden ne ferme pas la porte à un impôt sur la fortune» (Le Devoir, 15 mars 2021). Comment fermer une porte qui n’a jamais été ouverte ni par les démocrates, ni par les républicains?
  • «Biden. Ponctionner les riches pour donner aux pauvres» (Le Devoir, 10 août 2021). Joe n’a pas encore ponctionné les riches mais il a coupé allègrement dans son budget original qui prévoyait des aides accrues aux moins riches, de gros investissements en santé et en éducation et de juteuses hausses d’impôts des plus riches. Quant à sa révolution environnementale, c’est une grosse farce plate pas drôle pantoute;
  • «Janet Yellen, secrétaire américaine au Trésor. Impôt des entreprises : une réforme américaine et un message pour le reste du monde» (Radio-Canada, 8 avril 2021). Venant de l’ex-directrice de la Banque fédéral américaine (FED), on se disait que c’était du sérieux et que cela allait enfin aboutir. Mais non, la montagne de belles promesses vertueuses formulées par les démocrates américains s’est encore révélé un traquenard pour le monde ordinaire. Le monde extraordinaire s’en sort encore indemne. La montagne a accouché d’une souris.

Et nos médias de désinformation et de propagande (Ukraine, Taïwan, Afghanistan, etc.) de s’emballer et de vous remplir comme des valises : «Révolution fiscale en vue aux États-Unis» (Le Devoir, 28 avril 2021). Elle est où exactement la révolution fiscale ici et dans le monde? Hégémonie USA, c’est Biden qui l’a dit : «Biden et son équipe de sécurité nationale entendent mener le monde» (Radio-Canada, 24 novembre 2020). Avis aux intéressés!

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